Voice-over text of my film Greetings from Mooste
English version
I walked quite some time in Mooste looking for a centre, a place where power is concentrated, is organized, whence emanates a certain intensity, a slight call to order... but it's a diffuse village that appears to flee in all directions, I don't even know if it is a village. Mooste is like a never quite formulated idea.
Mooste is a few old buildings inherited from the Soviet era, with yellowing net curtains at the windows that must have once looked like bridal veils, perhaps in the days when people were still able to believe in it... a lot of youths who ebb and flow in groups from one end of the village to the other, and cars which whip up a lot of dust —the car, clearly the Estonians' great concern.
In Mooste, there are also two grocer's stores, a sauna, a village hall where the women come to learn country and western dancing, a school, an abandoned old distillery, a lake, a few wooden houses, a pharmacy... and yet, in spite of everything, is the impression that things are changing; for example, the battalion of lampposts financed by Europe which light up who knows what but which light up so well that you can no longer see the stars at night in that spot.
So, in Mooste, I walked quite some time looking for something that would have enabled me to anchor my project in the place or to anchor myself in the project,
and I chose Viktor, the former coach driver from Karelia who stands fishing at the lake each day.
And then quite soon Viktor disappeared, I learned later that it had taken him a long time to get over the flu, which is here a coy way of talking about alcohol problems.
So I started walking again... and when you walk in Mooste you always end up losing yourself either in the forest or in the cast-off remains of collectivization, there where people come looking for
what they can salvage and let the rest rot, there where there’s always a scrawny animal lurking around, closely followed by a car full of frowning faces, there where people are becoming acquainted with private property and new economic laws with a disconcerting efficiency.
And while they dream of the next car they will buy, I dream of being able to continue to make my films, my films with their invisible economy, on the margins, without a centre.
Version française
J’ai pas mal marché à Mooste, à la recherche d'un centre, d'un lieu où se concentre, où s’organise le pouvoir, d’où se dégage une certaine intensité, un léger rappel à l’ordre… Mais c’est un village diffus qui semble fuir dans toutes les directions, je ne sais même pas si c’est un village. Mooste c’est comme une idée qui n’arriverait pas à se former totalement.
Mooste, ce sont quelques vieux immeubles hérités de l’époque soviétique avec aux fenêtres des voilages jaunis qui ont dû, un jour, ressembler à des voiles de mariée, peut-être à l’époque où les gens pouvaient encore y croire… beaucoup de jeunes qui se déplacent en bande comme les courants marins d’un bout à l’autre du village et des voitures qui soulèvent beaucoup de poussière — la voiture, la grande affaire semble-t-il des Estoniens.
A Mooste, il y a aussi deux épiceries, un sauna, une salle communale où les femmes viennent apprendre à danser la country music, une école, une ancienne distillerie à l’abandon, un lac, quelques maisons en bois, une pharmacie… Et puis, quand même, il y a cette impression que les choses changent ; par exemple, il y a cette armée de lampadaires financés par l’Europe qui éclairent on ne sait trop quoi mais qui éclairent tellement bien que la nuit on ne peut plus voir les étoiles à cet endroit-là.
Donc à Mooste, j’ai pas mal marché à la recherche de quelque chose qui m’aurait permis d’ancrer mon projet dans le lieu ou de m’ancrer moi dans le projet, et j’ai choisi Viktor, l’ancien chauffeur de car venu de Carélie qui se tient chaque jour au bord du lac pour pêcher. Et puis assez vite Viktor a disparu, j’ai su par la suite qu’il s’était remis difficilement d’une grippe, ce qui, ici, est une manière pudique de parler des problèmes d’alcool.
Alors j‘ai repris ma ballade… et quand on marche à Mooste on finit toujours par se perdre soit dans la forêt soit dans les rebuts de la collectivisation, là où des gens viennent chercher ce qu’ils peuvent récupérer et laissent pourrir le reste, là où il y a toujours un animal efflanqué qui traîne, suivi de peu par une voiture remplie de mines renfrognées, là où les gens font l’apprentissage de la propriété privée et des nouvelles lois de l’économie avec une efficacité désarmante.
Et pendant qu’eux rêvent de la prochaine voiture qu’ils s’achèteront, je rêve de continuer à faire mes films, mes films à l’économie invisible, en marge, sans centre.